LES P'TITES HISTOIRES
Pour les Petits et Grands N'enfants ...

UNE VISITE AUX ARDOISIÈRES D'ANGERS
(Traduit de l'Américain) Scientific American - Supplément n ° 974, Munn & Co., New York, 1894

  Parmi les excursions, souvent très pittoresques, qui peuvent être faites dans le monde souterrain, l'une des plus originales, et surtout des plus excitantes, c'est une descente dans les ardoisières d'Angers. Le caractère spécial de cette visite est lié à la méthode d'exploitation pratiquée à Angers depuis des temps immémoriaux et qui est constituée des chambres immenses.
  Mais (et c'est ce qui donne au sujet une sorte d'actualité), il faut se hâter si l'on désire profiter de ce spectacle, car l'ancienne méthode de travail à laquelle ont participé non sans dangers tant de carriers disparaîtra peut-être bientôt.
  L'évolution à déjà commencée il y a quelques années, peut-être précipitée par le train d'ordonnances législatives... Nous ne verrons plus alors ces méthodes employées dans les ardoisières, mais celle qui est probablement plus sûre, et, certainement beaucoup plus curieuse, appelée l'ascendante.

  Les schistes argileux qui se trouvent à Angers, au milieu de la formation silurienne à laquelle ils appartiennent, se présentent sur plusieurs couches presque verticales et d'épaisseur variable, plus de 300 pieds (90 mètres) par endroits. C'est ce que l'on appelle les veines par ici.

  Les parties homogènes et fissiles sont extraites de la terre sous forme de blocs à diviser et à façonner. Les plus grands blocs servent à réaliser les tables de billard, les cheminées, etc., et les plus petits à la couverture en tuile des toits. Comme le prix des grandes pièces vaut environ un dollar par pied carré, tandis que les ardoises pour les toitures sont descendus à moins de vingt cents le mille, il est important que les dimensions des blocs soit aussi grandes que possible, tout en tenant compte de leur orientation naturelle. Cela demande un éclairage parfait des postes de travail et cela contribue à donner un caractère particulier aux opérations.

  On entend constamment parler, dans les ardoisières d'Angers, de tous ces joints et fractures du schiste à travers une série de noms anciens plus ou moins étranges (torsins, cordes de chat, des chefs, des bavures, crusses, etc.), ces noms, dont on n'est pas toujours absolument d'accord sur la signification exacte, mais qui ont néanmoins joué un grand rôle dans toutes les discussions relatives à l'évolution de la méthode de travail. Ces joints ont, non seulement une influence, ce qui serait d'un intérêt secondaire, sur la division des blocs et leur utilisation, mais ils ont aussi pour effet, si on n'y prend garde, de conduire au "glissement" soudain d'énormes masses d'ardoises, et parfois, et trop fréquemment, à un enfouissement désastreux de tout un groupe d'ouvriers.

Les méthodes d'exploitation appliquées à Angers sont au nombre de trois :

  1 - La méthode par bouturage à ciel ouvert utilisée à partir du XIIe siècle et jusqu'en 1832. Aujourd'hui, cette méthode est de plus en plus restreinte dans la mesure où l'on est conduit, par l'épuisement des affleurements, à exploiter les parties plus profondes du gisement.

  2 - La méthode appelée décroissante, est constituée de grandes chambres éclairées à l'électricité, de 200 pieds de longueur (~ 61 m) et 325 pieds de hauteur (~ 99 m), dont la première application a été faite en 1832 aux Grands-Carreaux, sur les conseils de M. Le Chatelier.

  3 - Enfin, la nouvelle méthode, appelée l'ascendante, dans laquelle les fouilles sont remplies au fur et à mesure que le travail progresse, comme cela est généralement fait dans les mines de charbon.

NDLR [Cette méthode apparaît en 1878 et, comme son nom l'indique, permet d'exploiter les veines de bas en haut.
On commence d'abord par creuser un puits très profond — parfois à plus de 500 mètres et, ensuite, on réalise une première chambre. On débite les blocs du toit, par gradins renversés. Les stériles, ou l'ardoise inexploitable (50% de déchets), sont laissés au sol, ce qui permet d'avoir une hauteur sous voûte constante (environ 10 mètres) et de minimiser les accidents. Cette technique augmente, qui plus est, le rendement puisque l'ardoise qui sort est directement utilisable. Les chambres sont donc, au fur et à mesure, remplies des déblais. Le débitage des blocs se fait manuellement et à la poudre noire.
Ils sont ensuite acheminés vers le puits pour les transférer au jour, vers les chantiers de fente. C'est encore par cette méthode que l'on extrait l'ardoise à Trélazé. La mécanisation est devenue omniprésente : les engins qui abattent l'ardoise sont des Brises Roche Hydrauliques et des Pelles de carrières. La nouvelle descenderie des Fresnais leur permet de sortir directement les blocs par camions-bennes. Cette évolution a permis d'augmenter considérablement la productivité.]

  Nous dirons quelques mots de ces deux dernières méthodes, dont les deux figures ci-dessous donnent l'aspect et l'agencement.

  Les tranchées ouvertes de 130 (~ 40 m) à 160 pieds (~ 49 m) de profondeur peuvent frapper les visiteurs qui ignorent l'art des mines et carrières qui a souvent été décrit pour les plus extraordinaires exploitations de même nature, comme les gisements métallifères de Dannemora en Suède, Rio Tonto en Espagne ou Mokta-el-Hadid en Algérie.



Cette gravure représente une chambre de l'exploitation souterraine de la carrière d'ardoise "Hermitage"
La chambre, en cours d'approfondissement de plus en plus bas, mesure 300 pieds (~ 92 m) de hauteur,
avec une section rectangulaire de 100 (~ 30 m) par 180 pieds (~ 55 m)


  La très grande résistance du schiste permet de former ces parois immenses et presque verticales sans risque important et de préserver au plafond, comme une voûte, pendant toute la durée de l'exploitation. Mais, afin de prévenir la chute des blocs d'une telle hauteur sur les ouvriers au travail en dessous, il est nécessaire de surveiller de près ces surfaces en ardoise. C'est l'objet des ponts volants que l'on voit traverser la chambre dans le sens de la longueur et de la largeur, près du plafond. Ils sont suspendus dans l'espace par des tiges de fer fixées dans la masse, et sont accessibles par des échelles verticales reposées ici et là dans des petites cabanes en bois qui forment une sorte de poste de débarquement.

  Marcher sur ces ponts fragiles, suspendu par des tiges qui oscillent à chaque étape, ne peut se faire sans une certaine appréhension pour ceux qui sont sujet au vertige. Lorsque des explosions retentissent en-dessous, on sent la masse de l'ardoise vibrer violemment et pendant longtemps, et si on n'est pas encore endurci à ce genre d'impression, on peut croire que les tiges, qui sont parfaitement solides, vont céder et nous précipiter d'une hauteur de plus de trois cents pieds (~ 92 m)...

  Le point de vue obtenu à partir de l'un de ces ponts est très curieux. A l'arrière de l'immense salle dont les murs noirs brillent sous la lumière théâtrale des balises électriques, on distingue à travers un nuage de poussière les ouvriers qui ont la taille de pygmées. Ils attaquent au pic les blocs d'ardoise sur des chantiers allant de 10 (~ 3 m) à 13 pieds (~ 4 m) de hauteur. Ils travaillent à droite et à gauche d'une tranchée déjà excavée dans l'axe de la carrière.

  Dans un coin du plafond, une ouverture ronde comme une fenêtre, laisse entrer un large faisceau de lumière du jour traversé par le wagon qui effectue les transports aller et retour des travailleurs et de l'ardoise.

  Cette ouverture est le fond d'un puits de quatre cents pieds (~ 122 m) de profondeur. C'est donc par là que l'on pénètre dans l'ardoisière, comme à travers le goulot d'une bouteille, et rien que cette descente vaut la visite.

  Le moyen de transport est une sorte de gros seau rond suspendu par trois chaînes reliées à une poulie qui est elle-même reliée à un câble en acier et roule sur un câble de guidage qui s'étend de la surface extérieure à la partie inférieure de la chambre.

  A l'extérieur, trois hommes prennent place debout dans le seau qui se balance et se cramponnent à chacune des chaînes de suspension. Puis l'appareil commence à bouger et, tout d'abord, descend quatre cents pieds (~ 122 m) dans les couverts de branches d'arbre puis le conduit en décrivant une grande courbe en raison de la flexibilité du câble guide, et, tout d'un coup il pénètre dans la chambre souterraine.

  On a alors une sensation jamais éprouvée dans un puits de carrière ordinaire, celle d'être absolument perdu dans l'espace au dessus d'un abîme éclatante de lumière, où on y observe des hommes en mouvement à trois cents pieds (~ 91 m) dessous. En attendant, le véhicule glisse en courbe sur le guide-câble, et, en quelques minutes, on est au fond, entourée par des ouvriers prêt à charger l'ardoises devant être être remontées par le même itinéraire.

  Ce système est un dispositif dangereux, tant en raison des ruptures qui peuvent survenir sur le câble porteur, qui menace de s'enrouler autour du câble de guidage, qu'à cause des fragments de schiste qui peuvent tomber sur la tête des ouvriers du fond lors de l'ascension. D'ailleurs, de manière générale, l'exploitation des carrières d'ardoise est l'une des plus meurtrières de l'industrie minière.

  En 1892, une année qui n'a pourtant pas été marquée par un grand accident, six hommes sur les 794 employés au fond ont été tués, soit une proportion de 7,56 pour 1000; tandis que dans la même année, la proportion dans les mines de charbon a été de 1,18 pour mille (112 tués en dehors des 95 000 ouvriers au fond), et, dans toutes les mines et les carrières de la France, 1,09 pour 1000 (287 tués sur 262 348 ouvriers).

  Cette proportion explique pourquoi il a été si important qu'un effort ait été fait pour trouver une méthode d'exploitation moins dangereuse. Le système choisi, qui était au début très vigoureusement discuté et est encore rejeté par le corps principal de carriers appelé "la Commission des ardoisières d'Angers", est appelé la méthode ascendante.

  Dans la méthode précédente de travail, on voit que les carriers extrayaient en permanence l'ardoise sous leurs pieds dans des chambres qui s'approfondissaient indéfiniment. Dans la méthode ascendante, dès le départ on procède en extrayant du point le plus bas que l'on souhaite exploiter, et de là, on s'élève progressivement vers la surface, graduellement, en remplissant l'espace laissé dessous avec des déchets, sans ainsi user de surface.


  L'intérêt du système est la suppression des murs immenses difficiles à surveiller, surtout les plus verticaux qui sont vraiment plus dangereux que le plafond horizontal, puisque, s'il y a des joints cachés dedans, une masse entière d'ardoises superposés peut, d'un jour à l'autre, glisser sur un joint lisse et basculer dans la chambre.

  Dans le même temps, le seau de transport est supprimé, mais, par contre (et c'est ce qui a créé des adversaires très résolus contre la nouvelle méthode), au lieu d'utiliser ce système, bien connu, et dont les fixations sont vérifiées à chaque voyage, on utilise un système sans cesse variable, secouée par des explosions, donc plus dangereux.

  Au niveau de l'exploitation pratique sur le chantier, le travail est rendu plus difficile surtout à cause de la multiplicité des échafaudages mobiles qui demandent des cœurs bien accrochés...

  Les détracteurs disent encore qu'en favorisant l'extension de ce système, le nombre d'accidents grave sera certes diminué mais que par contre les accidents mineurs augmenteront singulièrement.

  Pourtant, l'expérience semble se prononcer plutôt en faveur de la méthode ascendante, lorsqu'elle est appliquée avec les chambres de faible hauteur à "la Grand' Maison" et avec de petites chambres, préalablement entouré par un système de galeries, à "la Forêt".


  La figure 2 montre comment l'opération est effectuée à la Forêt, en creusant successivement, en commençant par le bas et sur toute la largeur de la chambre, une série de tranchées de 12 pieds (~ 3.70 m) de profondeur. Au dessus, sur une plate-forme fixée au toit par des tiges de fer, on voit les hommes qui forent les trous de dynamitage.

  En dessous d'eux c'est l'avant de la coupe de 12 pieds, qui s'estompe progressivement au fur et à mesure que le travail avance. Plus bas encore, une bande foncée représente l'espace créé par la précédente exploitation de la section inférieure déjà enlevé et ayant été comblée avec des stériles pour former le plancher.

  Sur la droite, un gros bloc de schiste, qui, après avoir été divisé en plaques suffisamment petites, sera emporté sur un petit wagon équipé d'une plate-forme et déplacé sur des rails.

  Là encore, l'éclairage est électrique, des lampes à incandescence sont suspendues par une corde et sont levées vers le plafond par des poulies lorsqu'un tir de mine est déclenché.

Une fois les blocs d'ardoise extraits par l'une ou l'autre de ces méthodes ils sont remontés à la surface pour être façonnés

  Le travail de l'ardoise pour toitures doit être fait in situ, avant que le matériau ait séché, car, en perdant son eau, il a perdu aussi sa fissilité.
  Le bloc est tout d'abord fendu en plaques épaisses à l'aide d'un ciseau. Ensuite, c'est le refendage qui s'effectue sous un abri, les pieds enfoncés dans des sabots épais et les jambes enveloppées de chiffons pour ne pas les blesser. Muni d'un ciseau très fin et d'un maillet, du bord, le refendeur détache les feuilles d'ardoises.
  Il reste alors à donner à cette feuille la forme et la taille appropriée. Cette opération se fait avec lourd couteau en fer articulé sur un axe. Il est actionné vers le bas pour couper la feuille.

  Les ouvriers sont tellement habitués à ce travail qu'ils l'exécutent très rapidement, au taux de 700 à 800 ardoises par jour. Mais plus les dimensions de l'ardoise sont grandes (comme c'est actuellement la tendance dans le but de rivaliser avec les tuiles mécaniques), et plus l'opération devient délicate. Cette affaire de grande taille d'ardoise, appelé le «grande anglaise», est une source de fréquents conflits entre patrons et ouvriers. On estime qu'un ardoisier en dehors gagne de 55 à 70 cents par jour, et un carrier de 60 à 80 cents.

  Il y aurait encore beaucoup à dire sur le curieux costume de travail qui a été perpétué à Angers depuis le Moyen Age jusqu'à ces dernières années, et qui est entrain de disparaître peu à peu. Mais c'est un sujet que nous ne voulons pas aborder ici, et nous nous contenterons de quelques chiffres statistiques pour la fin de cette curieuse étude.

  En 1893, les ardoisières du Maine-et-Loire ont donné un emploi à 1034 ouvriers à l'intérieur et 2185 l'extérieur - soit au total 3219 ouvriers, dont 1511 à la découpe.

  Alors qu'en 1891, on avait un total de 2749 ouvriers, divisé entre : 2121 pour le centre d'Angers (Trélazé), 109 pour la Forêt et 135 pour Misengrain. Au cours de l'année, ces ouvriers ont produit 2749 159 820 047 ardoises, pour une valeur de 710 650 $.

  Les chiffres de 1893 montrent un certain renouveau de cette industrie qui, depuis quelques années avaient subi une crise due notamment à la concurrence des tuiles mécaniques. Suite à la diminution de la production, les prix ont été légèrement augmentés.





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