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LES P'TITES HISTOIRES
Pour les Petits et Grands N'enfants ...

LA PIERRE par Adrien Linden

   On élevait un mur à l'extrémité du verger. Ernest et Alice profitaient de l'occasion pour construire de leur côté un superbe château fort avec du sable et des débris de moellons. Les petits architectes n'étaient pas très experts dans l'art de bâtir, paraît-il, car leur forteresse s'écroulait à tout moment.
- Je sais ce qui nous manque, dit Ernest : c'est du mortier. Le mortier est un ciment qui maintient les pierres entre elles ; si nous en avions, notre château tiendrait debout : j'en vais chercher.

- Ne touche pas aux affaires des maçons, lui dit sa sœur; l'oncle Richard l'a défendu.

- Il n'en saura rien : ce n'est pas toi qui lui diras ?

- Non, mais les ouvriers parleront.

- Ils n'y verront que du feu. Je vais aller prendre une poignée de mortier qu'ils viennent de cacher sous ce tas de sable.

- N'en fais rien, je t'en prie, dit la petite fille.
   Ernest ne l'écouta point. Ce glissant furtivement entre les pierres, il arriva auprès du mortier convoité et plongea sa main dans le tas.
Tout à coup, il jeta des cris de douleur. Le sable recouvrait de la chaux en dissolution, le petit garçon s'était brûlé le bout des doigts.
Aux cris de l'enfant M. Richard accourut dans le verger. Il emmena Ernest dans son cabinet, il appliqua de l'huile camphrée sur les doigts endoloris et les enveloppa d'un linge blanc.
- Voilà qui est fait, dit M. Richard : demain, il n'y paraîtra plus.

- Je vous ai désobéi, mon oncle, et j'en ai été puni, avoua le petit garçon.

- Cela devait être. Crois-tu que c'est pour contrarier les enfants qu'on leur interdit certaines choses ?

- Il ne recommencera plus, dit Alice, qui avait suivi son frère et qui voulait atténuer sa faute.

- Je le crois sans peine, répliqua l'oncle Richard en riant : chat échaudé craint l'eau froide.

- J'ignorais que le mortier fût brûlant.

- Le mortier n'est point brûlant. C'est la chaux qui dégage une forte chaleur quand on la mouille.

- Qu'est-ce que la chaux mon oncle ?
- La chaux est une espèce de pierre qui a subi l'action du feu et qui, étant mouillée, se fond et tombe en poussière. Cette poussière mêlée à du gravier plus ou moins fins, produit le mortier que tu connais.

- En ce cas, je puis obtenir de la chaux en faisant rougir mes billes et en les mouillant.

- Non. Il n'y a que certaines pierres qui possèdent cette propriété : ce sont les pierres dites calcaires; elles sont très communes.

- Je croyais que toutes les pierres étaient les mêmes, dit Alice.

- Tu sais pourtant que les pavés de la rue ne ressemblent pas au rubis de tes pendants d'oreilles.

- C'est vrai, répondit la petite fille; cela prouve que je ne m'y connais guère. Si cela ne vous ennuie pas trop, mon bon oncle, faites-nous connaître les différentes espèces de pierres, ajouta-t-elle.


L'oncle Richard, qui ne refusait jamais de répondre aux questions des enfants studieux, fit un signe affirmatif.
- La Pierre, dit-il, et le minéral le plus répandu dans la nature ; on le trouve en masse incalculable dans le sens de la terre et il forme, en s'élevant au-dessus du sol, cette multitude de montagnes qui couvrent une partie du globe. Quelques-unes de ces montagnes, telles que les Cordillères des Andes et les monts Himalaya dépasse 8000 m de hauteur.
   Les pierres ne sont pas toutes colossales. On n'en trouve d'infiniment petite, si petite que cent mille ne rempliraient pas un dé à coudre. Telles sont les pierres qui, sous le nom de sable, remplissent les vastes déserts d'Asie et d'Afrique et qui tapissent les profondeurs des océans. Malgré sa taille microscopique, le grain de sable est une pierre aussi complète que les géantes dont je viens de vous parler.
   Il en est de même du gravier que les dragueurs vont péniblement extraire du lit de nos rivières pour mêler à la chaux pour établir des routes. Vous le voyez, mes chers enfants, la pierre occupe une grande place sous le soleil du bon Dieu.
   Les pierres sont de nature et de consistance très diverses : les unes sont molles au point de s'écraser sous les doigts, et certaines autres sont tellement dures que l'acier le mieux trempé ne saurait les entamer. Comme bien vous pensez, les hommes ont su tirer parti des nombreuses qualités de la pierre et l'on fait servir à leurs besoins. C'est avec elle qu'ils bâtissent les maisons et les édifices, depuis l'humble masure jusqu'aux superbes cathédrales qui élèvent dans les airs leurs flèches audacieuses C'est avec la Pierre qu'ils construisent les ponts, les digues, les bassins, les forteresses, et qu'ils établissent des voies de communication.
   La bonne pierre à bâtir se trouve généralement dans le sol. Elle gît en couches épaisses qu'on sépare à coups de pic. Dans les pays montagneux, on exploite des carrières à ciel ouvert; mais, dans les pays plats, on est obligé de creuser des puits et d'aller chercher la pierre absolument comme on va chercher la houille et le minerai de fer dans les entrailles de la terre.

- À force d'enlever des blocs et des moellons, on doit faire de grands trous dans l'intérieur du sol, fit observer Alice.

- Des trous considérables ; tu en as un exemple sous tes pieds : les catacombes, ces vastes galeries souterraines qui s'étendent sur la rive gauche de Paris et même au-delà, sont d'anciennes carrières.

- Je voudrais bien les visiter : cela doit être curieux à voir.

- Pas tant que tu crois. Si tu voulais voir des choses vraiment admirables, il te faudrait visiter des cavernes et des grottes naturelles. Quelques-unes de ces cavernes se divisent parfois en huit ou dix salles. Dans plusieurs, on aperçoit, suspendu à la voûte et tapissant le sol et les murailles, des concrétions pierreuses représentant des guirlandes, des cascades immobiles, des tuyaux d'orgue, des fleurs, des animaux fantastiques, etc. Ces objets sont formés par des eaux chargées de matières calcaires qui tombent par goutte et qui se durcissent avec le temps.
   On a donné le nom de stalactites aux concrétions qui demeurent suspendues, et de stalagmites à celles qui sont à terre. Comme on ne pénètrent dans ses cavités qu'avec des flambeaux, stalactites et stalagmites - qui sont presque blanches et quelquefois à demi transparentes - réfléchissent la lumière et produisent un effet merveilleux.
   Les excavations les plus remarquables de France se trouvent dans le département de l'Yonne, à Arcy-sur- Eure. On cite aussi comme étant très curieuse la grotte d'Antiparos, dans l'archipel de Grèce; la caverne d'Adelberg, en Illyrie, et surtout la grotte de Fingal, dans l'île de Staffa, à l'ouest de l'Écosse. Cette dernière offre cette particularité, que, étant ouverte du côté de la mer, les flots, qui s'élance par cette entrée, font vibrer les parois de la voûte et produisent des sons mélodieux.

- Partons pour l'île de Staffa, s'écria Alice avec enthousiasme.
- Un peu plus au nord, en Islande, poursuivi M. Richard. La pierre se présente sous un tout autre aspect. C'est là que se voit la fameuse chaussée des géants, magnifique colonnade qui s'avance au loin dans la mer et qui, se prolongeant sur le rivage par une foule de colonnes plus basses, produit l'effet d'un gigantesque escalier. Ces colonnes sont a pans coupés et polies sur toutes leurs faces. Elles sont si régulièrement taillées qu'on les croirait sorties de la main d'un ouvrier. Elles ne sont sorties que d'un volcan, car la pierre dont elles sont faites, et qui se nomme basalte, a été vitrifiée par le feu souterrain. Ce basalte est une roche noire ou de couleur très foncée; il se trouve en abondance dans les contrées volcaniques et se présente le plus souvent sous la forme de colonnes tronquées.
   Une autre curiosité naturelle due à ce même basalte se voit en Amérique. Ce sont deux énormes murs de deux mille pieds qui s'élèvent de part et d'autre sur les rives du Missouri et tiennent ce fleuve enfermé pendant plus d'une lieue. Ces murs sont connus sous le nom de Pyles Missouriennes. Il existe ailleurs des rochers formant d'étroits chemins : tels sont les passages des Thermopyles, en Grèce; les portes du Caucase, en Asie; le défilé de Skifœdal, entre la Suède et la Norvège, etc.
   La plupart de ces rochers formidables sont en granite ou en porphyre, pierres très résistante qui servent à paver les rues, à former des marches d'escalier, des bordures de trottoir, des bassins, etc. Le basalte, à cause de son excessive pureté, qui dépasse celle du verre, n'est guère employé dans les constructions. On n'en fait quelques menus objets de fantaisie, des enclumes de batteur d'or, des socles de pendule, des coupes, etc.

- La coupe que vous avez donnée à papa est-elle en basalte ? Demanda la petite fille.

- Non, le basalte est de couleur très foncée, tandis que la coupe dont tu parles est d'un blanc jaunâtre et à demi transparente. Cet objet est en albâtre, pierre avec laquelle on fait des vases, des statuettes et de jolis ornements sculptés. Cette pierre est tendre au point de se rayer sous l'ongle. L'albâtre plus pur, appelé albâtre oriental, est fourni par les stalactites et les stalagmites.

- Moi, je croyais que la coupe de papa était en marbre, dit Ernest.
- Albâtre et marbre se ressemblent beaucoup et l'on peut aisément s'y tromper. L'albâtre ne se présente guère en bloc volumineux; le marbre, au contraire, forme des masses considérables : le premier est assez rare; le second se trouve en abondance. Les Apennins et les Pyrénées recèlent des marbres de toutes couleurs et Carrare fournit les beaux marbres blancs avec lesquels se font les statues. Vous connaissez l'emploi du marbre et savez qu'on l'utilise de cent manières : il sert à couvrir des meubles, à former des cheminées, des dallages, des mosaïques et même à bâtir : la cathédrale de Milan et tout en marbre blanc.

- Une cathédrale en marbre blanc doit être éblouissante.

- Oui, lorsqu'elle est neuve : avec le temps le marbre perd son éclat et ressemble à du plâtre.

- Qu'est-ce que le plâtre, mon oncle ? Demanda le petit garçon.

- Le plâtre est une pierre qui a été calcinée et réduite en poudre. Cette poudre, délayée dans une certaine quantité d'eau, produit une pâte qui a la propriété de se durcir promptement. Le plâtre étant fort commun, son usage excellent et son application facile, on en fait un emploi considérable dans la bâtisse : il sert à couvrir les murs et les plafonds, à cimenter les pierres et les briques et même à crépir les murs extérieurs.
   Le plâtre délayé pouvant prendre toutes les formes, sert au mouleur pour reproduire les sculptures et les œuvres d'art.
   Mélangé à de la colle forte, le plâtre devient très dur et peut se polir. En cet état, il prend le nom de stuc et remplace le marbre dont il a toute l'apparence.

- La pierre sert à beaucoup de choses, fit remarquer la petite fille.

- On trouve un peu partout, et principalement en Serbie, continua le narrateur, une pierre qui porte le nom de mica et qui a la propriété de résister au feu. Elle se divise en feuillets aussi minces que du papier et sert en guise de vitre pour garnir les fenêtres des maisons et des vaisseaux de guerre, car elle est transparente. On en fait aussi des verres de lampe incassables. Ce mica nous rappelle une autre pierre d'une utilité plus grande, qui se divise également en feuillets. Cette pierre n'est point transparente, mais elle est très impénétrable; on l'utilise pour couvrir les maisons, revêtir les murs exposés à l'humidité et pour façonner des plaques à l'usage des écoliers.

- C'est l'ardoise, dit Ernest; je sais que les carrières d'ardoise les plus considérables se trouvent dans les départements du Maine-et-Loire et des Ardennes. La craie, avec laquelle on écrit, est-elle de la pierre aussi ? Ajouta-t-il.

- Oui. C'est une pierre très friable, qui est néanmoins propre à la construction, parce qu'elle se durcit à l'air. Broyée et dissoute dans l'eau, la craie donne le produit connu dans le commerce sous le nom de Blanc d'Espagne.
   Il existe d'autres pierres plus tendres encore que la craie, notamment le talc, vulgairement appelé Pierre de lard. Ce talc, dont on fait des crayons, et si mou qu'il s'écrase sous les doigts.
- Ce n'est pas avec cette pierre qu'on pourrait repasser les rasoirs et les ciseaux, dit en riant le petit garçon.

- En effet, le gré, pierre avec laquelle se font les meules des rémouleurs, est quelquefois très dure, moins pourtant que celle que l'on appelle pierre du Levant. La pierre du Levant sert à affiner les outils lorsqu'ils ont été dégrossis par la meule.
   Une autre pierre, également fort compacte et qui joue un rôle important dans les arts, c'est la pierre lithographique. Grâce à cette pierre, on peut reproduire indéfiniment les dessins et les écritures. Les plus belles pierres lithographiques se trouvent en Bohême.
   Dans ce pays se rencontrent aussi des eaux qui ont la propriété de donner à tous les objets qu'elles arrosent l'apparence de la pierre. Lorsqu'on fait tomber ces eaux sur des fleurs, des corbeilles, des nids d'oiseaux, etc., elle les recouvre d'un sédiment si fin que leurs formes ne sont plus nullement altérées et que l'on croirait voir de véritables pétrifications. Ces eaux, appelées incrustantes, sont assez répandues. La fontaine de Saint-Allyre, en Auvergne, jouit de cette singulière propriété.

- La pierre est donc bonne à tout ? S'écria Alice avec admiration.

- Même à faire des manchettes aux demoiselles.

- Oh ? Mon oncle !

- On trouve en Corse et ailleurs, poursuivi M. Richard, une pierre composée de filaments soyeux et brillant qu'on peut tisser comme du chanvre et du lin : elle sert à fabriquer de la toile, des gants, la dentelle, des vêtements et même du papier. Quand ces objets sont souillés, il suffit de les passer au feu pour les nettoyer, car la pierre dont je parle et qui porte le nom d'amiante est incombustible.

- Mais c'est merveilleux comme un conte de fées, s'écria la petite-fille; des vitres incassables, de la toile de pierre, du papier qui ne brûle pas !

- Que dirais-tu si tu voyais le cristal de roche, aussi transparent que l'eau la plus limpide; l'agate, aux cent couleurs; l'onyx, la cornaline et ces pierres, dites précieuses, telles que : le rubis rouge, le bleu saphir, la verte émeraude, la violette améthyste, la jaune topaze et l'incolore diamant, qu'on estime à plusieurs millions de francs quand il dépasse la grosseur d'une noisette ?

- Les diamants, où se trouve-t-il ? Demanda la petite fille.

- Dans la terre est presque à la superficie du sol. Les plus riches terrains diamantifères sont dans l'Inde, au Pérou ou dans l'île de Bornéo.
   Une autre fois, je vous entretiendrai de la pierre au point de vue historique et monumental; je vous parlerai de l'humble croix de pierre, qu'on rencontre sur toutes les routes dans les pays chrétiens, et aussi de ces tombeaux gigantesques connus sous le nom de pyramides. Aujourd'hui, vous vous contenterez de savoir que la pierre constitue la plus grande partie du globe terrestre, elle fournit à l'homme le moyen de se construire des habitations commodes, élégantes, solides et tout ce qu'il faut pour les embellir.

- Nous savons qu'il y a des pierres fort curieuses, ajouta la petite fille, des marbres, l'albâtre, de l'ardoise, de la craie décorée du basalte, du porphyre, et que certaines pierres étant calcinées produisent la chaux et le plâtre, sans lesquels on ne pourrait bâtir.

- Je sais qu'il faut se garder de toucher à la chaux quand on vient de la mouiller, dit le petit garçon, en montrant sa main entourée de compresses.

- Tu pourrais ajouter un mot de plus concernant ta mésaventure, ce me semble, dit M. Richard.

- Oui, mon oncle : je pourrais dire que les enfants qui désobéissent à leurs parents ont toujours lieu de s'en repentir.

- Fort bien : quand on avoue ses fautes, on est bien prêt de s'en corriger. Maintenant retournez à vos travaux : je vous autorise à vous servir de plâtre et de mortier.





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