LES P'TITES HISTOIRES
Pour les Petits et Grands N'enfants ...

ARTS ET MÉTIERS ou LES CURIEUX SECRETS par Alexandre Labouche

  En 1880, notre ami Alexandre, membre de la société des élèves de l'abbé Gaultier et de la société pour l'instruction élémentaire, rédige un petit livre de présentation des arts & métiers "les plus essentiels à l'homme" (dixit Alexandre). Nous en avons extrait les paragraphes consacrés aux maçons, carriers, tailleurs de pierre et marbriers...

Le Maçon
  L'art du maçon est un des plus utiles à la société; aussi la maçonnerie date-t-elle des premiers temps connus.

  Il est bien intéressant de voir une maison s'élever depuis ses fondements jusqu'à sa cheminée (que couronne un joyeux bouquet), de la voir étendre ses ailes, ouvrir ses fenêtres, ses portes, et déployer son luxe de pierre.

  Les maçons nous offrent le spectacle d'une armée laborieuse, depuis le manœuvre qui gâche le plâtre, qui le tamise, qui monte l'oiseau sur ses épaules, jusqu'à l'ouvrier qui pose la pierre, l'équarrit au besoin, consulte son plan et appelle ses compagnons par des cris si plaisants.

  Rien de plus ingénieux aussi que cette chaîne de bras par laquelle mille moellons sont montés comme par enchantement jusqu'au faîte d'un édifice. Faut-il apporter des pierres de taille, vous voyez les maçons s'atteler à des chariots plats, à roues petites, mais larges.

  Après tout, le maçon offre un singulier mélange d'activité et de paresse. Voyez un bâtiment en construction; sous les yeux de l'inspecteur, cela va à merveille; mais descendez dans les détails, et vous vous apercevrez de la lenteur de chacun de ces ouvriers.

  Quand aux maçons sans travail à Paris, le lieu de leur rendez-vous est la place de Grève : dès le matin, on est sûr de les trouver dans les cabarets, sur le quai, ou devant l'horloge de l'hôtel de ville, ayant sous le bras la moitié d'un pain de quatre livres, le visage blanc des travaux de la veille, et les habits enduits de plâtre sur toutes les coutures.

  Les matériaux qu'on emploie dans la construction sont assez nombreux. La pierre, mise au premier rang, se divise en deux classes : les pierres dures et les tendres.

  Les pierres dures les plus connues à Paris sont le liais, qu'on tire des plaines de Maisons, de Créteil et d'Arceuil; la pierre de roche, que l'on extrait des fonds de Bagneux et lieux environnants; la pierre que l'on tire de Passy, de Sèvres, de la chaussée de Bougival, de l'Isle-Adam, etc.

  La maçonnerie joue un très grand rôle dans la bâtisse. En tout devis d'une maison ordinaire elle constitue à peu près la moitié de la dépense. On la compose avec du mortier de chaux et de sable, du moellon de bonne qualité, tiré de la carrière un an d'avance, afin qu'il soit plus sec. On emploie en beaucoup d'endroits diverses espèces de grès, la pierre à fusil est de même en usage dans la Normandie, sous le nom de bizard. Quelques cantons se servent aussi de la pierre à plâtre comme moellon, à défaut de matériaux meilleurs.

  La brique est d'un grand usage en Angleterre et en Italie. Cuite à un degré convenable, dure, sonore et compacte, sa légèreté la rend précieuse; les anciens s'en servaient beaucoup; on trouve encore, en Asie, des pans de murs entièrement construits en briques. L'usage en est encore conservé, comme on le voit; mais ce qui s'est perdu c'est le ciment des Romains, qui donnait à leurs monuments une dureté éternelle.

  La profondeur à laquelle on creuse les fondations d'un bâtiment varie selon la nature du sol et l'importance de la construction; on donne habituellement à ces fondations un huitième, un dixième, un douzième de la hauteur totale des murs qu'on veut élever.

  La construction des cheminées ne présente pas de difficultés; toutefois il faut quelque sagacité pour les placer dans les murs de la manière la plus convenable. Autrefois on se contentait de les élever perpendiculairement, et de les adosser, les unes devant les autres, à chaque étage; mais il en résultait une masse de constructions qui surchargeaient les planchers.

  L'usage est d'adosser les cheminées aux murs latéraux de l'édifice, et jamais opposées au jour. Assez récemment, on s'est imaginé de les attacher à des murs de face, en les plaçant dans l'embrasure d'une croisée avec un tuyau incliné. La croisée qui surmonte le chambranle de la cheminée remplace la glace.

   A propos de croisée, ce nom vient des croix de pierre qui, au XVe et au XVIe siècle, divisaient les baies de fenêtre en quatre parties inégales. Le nom de fenêtre, qui n'est pas moins usité, nous vient des Grecs, et signifie éclairer.

Le Carrier


  Autrefois l'homme était sauvage; il habitait dans les forêts, dans les cavernes, où l'hiver il avait moins froid. Vêtu de la dépouille des bêtes, nourri des fruits incultes de la terre, il vivait assez mal; il ne connut que plus tard ses besoins, alors il se construisit des retraites en bois, des petites cabanes de roseaux ou de branches entrelacées, qui craquaient sous le souffle des vents ou laissaient pénétrer la pluie.

  Que de temps il fallut avant qu'on s'ingérât d'aller chercher au fond de la terre des pierres capables de fournir des abris solides et impénétrables, des bâtiments beaux et imposants ! Certes on fut bien embarrassé pour venir à bout d'amener sur la surface du sol ces masses si lourdes; car alors on n'avait pas, comme aujourd'hui, des outils de fer à cet usage; et ce ne dut être qu'à force de pieux, de bois, d'efforts et de patience.

  Il existe quelque ressemblance entre le métier de carrier et celui du mineur; l'un comme l'autre travaille souvent dans les ténèbres.

  L'entrée principale des carrières est une ouverture assez droite à laquelle on a donné le nom de puits, à cause de sa forme qui rappelle celle des puits de nos maisons.



  Le ciel de la carrière est le premier banc qui se trouve au-dessous des terres en creusant; il sert de plafond; à mesure qu'on fouille, on soutient ce ciel périlleux à l'aide de piliers massifs que l'on construit par intervalles.

  On soulève la pierre sur un plateau nommé haquet, avec des grues que meut une roue de bois. L'opération la plus difficile est d'enlever le moellon qui se trouve au-dessous du dernier banc. Pour en venir à bout, le carrier est obligé de se coucher tout de son long sur la paille, pour couper la pierre au moyen d'une esse : c'est un marteau en croissant.

  Souvent il faut aussi faire éclater de très gros morceaux de pierre; la mine qu'on emploie à cet effet consiste en un trou qu'on charge comme un canon, en ayant soin de remplir d'un coulis de plâtre le vide que laisse la poudre.

  Les pierres, une fois sorties de terre, sont d'abord assez tendres; puis l'air les durcit; on les pose sur leur lit, c'est à dire dans la même position qu'elles avaient dans la carrière; plus tard, quand on construit le bâtiment, on les place de la même manière; autrement elles seraient exposées à se fendre.

  Les meules se trouvent presque taillées; elles sont opaques, très dures, remplies de trous. Souvent, pour les tirer, il faut élargir l'ouverture du puits dans toute sa hauteur; on les enlève à l'aide d'un moulin et d'un câble. Si ce câble a été mal disposé (ce dont on s'aperçoit dès le premier mouvement de roue), il importe de changer tout de suite sa disposition sur la pierre au fond de la carrière; faute de cette utile précaution, plusieurs ouvriers ont perdu la vie.

  On rencontre dans les pays du nord des grottes qui semblent des carrières creusées par la main de Dieu lui-même, tant les murs en sont élevés, tant l'œil se perd dans leurs sombres arcades.

Le Tailleur de Pierre


  Quand une fois la pierre est extraite de la carrière, il s'agit, pour le tailleur de pierre, de la couper sur les dessins et cartons que lui fournit l'appareilleur : c'est le nom que l'on donne à l'ouvrier qui trace la coupe des pierres.

  Pour ce genre d'ouvrage, il commence par faire le lit de la pierre, c'est à dire par l'unir à coups de marteau. Il se sert à cet effet du marteau bertelé et d'une pioche dont le fer a deux côtés pointus à chaque extrémité. Le premier de ces instruments sert à perfectionner l'œuvre que la pioche à seulement dégrossie.

  Quand le lit est formé, l'appareilleur trace la pierre d'après l'emplacement qui lui est destiné; ensuite le tailleur prend, avec l'équerre, le maigre de la pierre sur les parements, c'est à dire sur ses quatre faces : ce qui consiste à tracer tout autour, et sur les bords du bloc, une raie qui doit diriger l'ouvrier dans sa taille. Il a grand soin auparavant de creuser plus ou moins pour éviter les trous et les défauts qui se trouvent fréquemment dans ces parements.

  La pierre ainsi disposée, l'ouvrier la taille en commençant avec un ciseau et un maillet pour former plus nettement les arêtes au bord; ensuite il taille les parements jusqu'au milieu. Puis, quand il a retourné la pierre pour en tailler le dessous, il achève d'équarrir et d'unir tous les parements.

  Il y a deux sortes de scies : les unes sont garnies de dents; les autres n'en ont pas. Les premières servent à scier la pierre tendre. Leur frottement produit un son aigu, un sifflement insupportable pour les oreilles qui n'y sont pas habituées.

  Les Grecs attribuaient l'invention de la scie à Dédale; de nos jours, plusieurs peuples, parmi lesquels on cite les habitants d'une partie de la Russie, ne paraissent point connaître encore l'usage de cet instrument.

Le Marbrier


  Le marbre est une pierre dure, nuancée ordinairement de veines et de taches de diverses couleurs. Plus ces taches sont vives et diversifiées, plus les marbres sont précieux; il y a aussi des marbres d'une seule couleur, blancs ou noirs.

  Le marbre blanc est très précieux; on l'emploie pour les œuvres de sculpture; celui de l'île de Paros était renommé par sa blancheur éclatante et par sa dureté. Les plus belles statues de l'antiquité ont été faites avec ce marbre, qui a quelque transparence. C'est du territoire de Gênes qu'on tirait tout récemment le plus marbre blanc connu; depuis cinquante ans, on a trouvé dans les marbrières de Carrare des veines et des couches qui ne le cèdent aux anciens marbres de Paros ni pour la finesse du grain, ni pour la beauté de la couleur : la plus belle espèce est presque aussi dure que le porphyre.

  Le marbre était connu dès la plus haute antiquité, du temps même d'Homère. Iris trouve Hélène occupée dans son palais à faire un voile éclatant; Homère, en parlant de ce voile, dit qu'il était brillant comme le marbre. Pendant longtemps les marbres d'Egypte et de Grèce jouirent de la plus haute réputation; mais de nos jours ils sont connus à peine d'un petit nombre de curieux, qui vont les admirer dans les ruines de l'ancienne Rome et dans d'autres villes d'Italie, de la Grèce, de l'Egypte, et à Paris au musée des antiques. Les plus curieux de ces marbres anciens, après celui de Paros, étaient le porphyre, l'ophis, le parangon, les sélénites, etc. Les palais des Romains ne paraissaient magnifiques qu'autant qu'ils étaient revêtus de marbres grecs.

  De nos jours, les marbres se tirent de l'Italie, de l'Espagne, de la Belgique et de plusieurs points de la France. On a découvert, notamment en 1820, aux environs de Beauvais, une carrière de marbre depuis longtemps exploitée par des ouvriers qui ne connaissaient pas la nature; elle occupe une étendue de vingt quatre kilomètres de longueur; plus on pénètre dans l'intérieur, plus les couches de marbre qui commencent à la surface augmentent en épaisseur. Ce marbre est très dur, susceptible du plus beau poli, et résiste aux plus violents acides. Mais une découverte bien plus curieuse, qu'on a faite dans ces dernières années en Angleterre, est celle d'une espèce de marbre flexible. Il en existe de grande carrière à New-Ashfort. On peut se convaincre de son élasticité en posant un table de ce marbre sur une de ses extrémités et en appliquant sur l'autre une force médiocre, et de sa flexibilité en appuyant ses deux extrémités seulement sur deux supports, et dans une direction horizontale.. Quelquefois un bloc n'est flexible que dans une partie de son étendue, tandis qu'il conserve sa dureté ordinaire dans le reste. On a prétendu expliquer la flexibilité et l'élasticité étonnantes de ce marbre par la dessiccation; mais il paraît, au contraire, qu'en séchant il perd presque complètement ces deux singulières propriétés.

  Les marbres se durcissent à l'air et deviennent plus compactes que dans la carrière. Tous n'ont pas non plus la même dureté. Il y en a de si tendres qu'on peut les tailler avec le tour, de si durs qu'on a beaucoup de peine à les scier, enfin de si cassants qu'ils s'égrènent quand on les travaille. Une fois arrivé à l'atelier, le scie de l'épaisseur qu'on désire. La scie des marbriers est sans dents; sa monture est semblable à celle des menuisier; sa feuille, fort large, est assez forte pour scier le marbre, en l'usant peu à peu par le moyen de grès et de l'eau que le scieur y met avec une longue cuillère de fer. Une fois sciée, le marbre se travaille avec divers ciseaux destinés à cet usage; on y forme, avec les mêmes outils, les moulures et les différents dessins que l'ouvrage exige, ou que le goût de l'ouvrier peut lui suggérer.

  C'est sous l'empereur Claude que les Romains commencèrent à teindre le marbre blanc pour en accroître la beauté, et lui donner la couleur qu'ils voulaient obtenir dans les mosaïques. Sous Néron, on diversifia les couleurs du marbre en y incrustant des morceaux colorés; ce qui se fait encore aujourd'hui dans les mosaïque de Florence. On employait aussi diverses espèces de mastics, appelés lithocolle, pour coller les marbres. Souvent un groupe était travaillé par plusieurs artistes; on en joignait alors les différentes parties, et on polissait si bien les jointures, qu'il n'en subsistait plus de trace.

  Plusieurs espèces de marbres sont renommées pour leur couleur naturelle, comme le brèche de Vérone, d'un rouge pâle mêlé de jaune, de noir et de bleu; le vert de Suze, veiné de noir et de vert sur fond blanc; la brocatelle, nuancée des plus belles couleur; le Narbonne, à taches jaunes et blanches sur fond violet, le vert campan ou vert mêlé de blanc et de teintes rouges; le bleu turquin, le serancolin, de couleur isabelle, rouge ou agate, le portor, de Provence, d'un jaune et d'un noir très vifs, et qui ressemble, en effet, porter de l'or; le marbre madréporique de Mons ou marbre des Écaussines, appelé petit granit à Paris, composé presque en entier d'osselets pétrifiés d'encrinites, comme un tas de blé se compose d'épis; le jaune antique, dont les carrières, à ce qu'on croit, étaient en Macédoine et en Numidie, et qui a fourni les colonnes de l'intérieur du Panthéon de Rome, d'une hauteur de 8 mètres 80 centimètres, d'un seul morceau; les brèches, formés par une multitude de fragments anguleux de différents marbres, réunis par un ciment d'une couleur quelconque; les lumachelles, entièrement composées de débris organiques, madrépores, coquille, etc., cimentés par une pâte plus ou moins égale, et ayant conservé, comme dans la lumachelle de Corinthie, les reflets de nacre les plus vifs; enfin il existe dans les marbres des variétés infinie. On en trouve même un à Florence où semblent figurer des châteaux, des tours et des arbres.

  Les marbres ne sont que des carbonates de chaux presque purs, à demi cristallisés par l'action d'un feu violent. Ces couches de carbonate de chaux ont été d'abord déposées au fond des eaux, et là elles ont enveloppé dans leur pâte encore liquide une multitude de débris organisés, particulièrement des coquilles. On peut encore facilement reconnaître la forme de ces coquilles dans certains marbres noirs, où ces débris fossiles forment des dessins blancs caractéristiques; les matières animales qui sont demeurées mélangées dans cette pâte exhalent encore aujourd'hui, après tant de siècles, une odeur fétide. Après le dépôt de ces couches, l'action volcanique des feux souterrains est venue les surprendre, les élever à une haute température, et les métamorphoser en roches d'un aspect cristallin.

  Maintenant le marbre blanc se colore à l'aide de diverses dissolutions. Le sel d'argent lui donne une couleur rougeâtre et brune ensuite; le sel d'or, une couleur violette; le sel de cuivre, une couleur verte; le sang de dragon le teint en rouge; la gomme, en beau citron; la teinture de cochenille lui donne une couleur mêlée de rouge et de pourpre.

  On a aussi trouvé le moyen de tracer sur le marbre des figures en relief. Cette opération est facile. A cet effet, on esquisse sur le marbre, avec de la craie, les figures qu'on veut produire; on les couvre ensuite d'une couche de vernis fait avec de la cire d'Espagne dissoute dans l'esprit-de-vin; après quoi l'on verse sur le marbre un mélange d'acides qui mangent le fond et laissent substituer les figures, comme si on les eût fait graver à grands frais.



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